Même après l'heure, vous n'êtes pas en retard...
Dies non interpellat pro Homine. Si vous n’avez pas fait latin en classe de sixième, voici la traduction : l’échéance du terme ne vaut pas mise en demeure. Selon cet adage, un débiteur qui n’exécute pas ses obligations dans le délai contractuel n’est pas légalement en retard du fait de l’échéance du terme. Il y a pourtant, sur chaque facture que vous recevez, une date limite de paiement. En bon consommateur prudent, vous vous employez à respecter ce délai faute de pouvoir trouver le sommeil en cas de retard. Certains fournisseurs ou commerçants affichent même clairement la couleur en indiquant, sur le document, que « tout retard produit des intérêts équivalents à une fois et demie le taux légal en vigueur ». Diable… Si vous laissiez filer la date et quelle qu’en soit la raison (impossibilité de payer, oubli, facturation illégitime…), vous risqueriez donc un embastillement séance tenante. Les choses ne sont heureusement pas aussi simples car, contrairement aux idées reçues, tant que le créancier ne vous a pas signalé très clairement que vous êtes en retard… c’est que vous êtes encore à l’heure !
=> Le retard ne devient effectif que par l’envoi d’une « mise en demeure ». Il s’agit généralement du premier courrier adressé par une agence de recouvrement chargée de récupérer l’argent. Lorsque vous le recevez, le compte à rebours est déclenché : vous êtes considéré comme « officiellement en retard » et des dommages et intérêts peuvent être calculés à partir de cet instant. « “Demeure” vient du latin mora signifiant “retard”, explique Thierry Maillant, docteur en droit privé à l’université Paris-II. Il s’agit d’une interpellation formelle du débiteur qui n’a pas exécuté son obligation à terme. La mise en demeure est une protestation pour vous obliger à le faire – en l’occurrence pour vous obliger à payer – dans les délais que fixe le créancier, à défaut de quoi vous pourrez être cité à comparaître devant la juridiction ayant compétence pour juger l’affaire. » Si vous n’avez pas encore reçu cette lettre, personne ne peut vous menacer de quoi que ce soit et surtout vous réclamer la moindre compensation financière. Le Code civil (article 1146) dit même que « les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation ».
Ignorez royalement la société de recouvrement !
Mais qui peut vous mettre en demeure ? D’abord, le service contentieux de l’entreprise à qui vous devriez de l’argent. En théorie, cet acte peut prendre la forme d’un courrier simple, mais, généralement, attendez-vous à recevoir une lettre recommandée avec accusé de réception. La législation ne l’impose pas mais le recours au recommandé est plus impressionnant et permet de prendre date de manière incontestable. Pour avoir une valeur juridique, la missive doit indiquer très clairement que vous êtes « mis en demeure » de régler l’ardoise. Cette information peut également vous être adressée par une société spécialisée dans le recouvrement de créances et même par un huissier. Dans le premier cas, le courrier doit comporter quelques mentions obligatoires sous peine de ne pas être valable. Dans le second cas, un huissier se présente chez vous et vous remet une « sommation de payer ». Ce document, très menaçant, ne vaut pas plus qu’une mise en demeure simple. Première chose à faire : rester zen ! Bien que le papier émane d’un huissier, à ce stade, ce professionnel agit à la demande du créancier et en l’absence de toute décision judiciaire. On est encore très loin de la saisie des meubles ! Non seulement l’huissier n’a pas le droit de rentrer chez vous mais, de surcroît, vous n’avez pas à payer ses honoraires…
=> La mise en demeure d’une agence de recouvrement n’est pas une fatalité. De nombreuses astuces existent pour effacer l’ardoise ou, tout au moins, en limiter les nuisances. Le premier critère à prendre en compte concerne le montant de la dette. Paradoxalement, plus elle est modeste, plus les pressions seront fortes. « La finalité de l’action en recouvrement est d’aboutir dans l’idéal à un paiement dans les meilleurs délais et à moindre coût », souligne Thierry Maillant. Ce qui signifie que votre créancier n’a pas forcément l’intention de faire durer le litige, en empruntant la voie judiciaire, ou d’engager des frais importants pour un résultat hypothétique. En mandatant une agence de recouvrement ou un huissier, il ne prend quasiment aucun risque puisqu’il ne paye qu'en cas de succès et n'engage pas de procédure contentieuse.
=> Quoi qu’il en soit, il n’est pas utile d’engager un dialogue avec l’agence ou l’huissier. Vous pouvez même faire la sourde oreille et vous contenter de communiquer directement avec le créancier. En effet, le recouvrement de créances envers les particuliers tel qu’il est pratiqué en France n’est pas de l’affacturage. Les sociétés de recouvrement ne rachètent pas votre dette comme le ferait un mafioso. Elles se comportent davantage comme des tueurs à gages : si elles parviennent à vous faire payer, elles reçoivent une commission (de l’ordre de 10 à 15 %). Comme le créancier reste officiellement le seul à qui vous devriez de l’argent, la loi prévoit que la contestation d’une dette peut directement se faire auprès de lui (arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2006). En gros, vous pouvez tout à fait ignorer la société de recouvrement lorsqu’elle cherche à vous intimider au téléphone : « Désolé mais, selon la Cour de cassation, vous n’existez pas. Adieu ! »
La saisie ce n’est pas pour tout de suite !
Saisie ! Le
mot est lancé et fait froid dans le dos. Pourtant, même si les sociétés de
recouvrement usent et abusent de ce terme, cette issue désagréable n’est pas
pour demain. Dans la plupart des cas, emportées dans leur grand bluff, les agences
menacent les débiteurs de procéder à une « saisie vente » de leurs biens (meubles,
électroménager, véhicules, etc.), même pour de très petites sommes. Evidemment,
cette forme de saisie est bien plus intimidante que le simple gel d’un compte
bancaire (on parle alors de « saisie attribution »). Le débiteur mal informé
imagine que des déménageurs vont débarquer d’un instant à l’autre pour emporter
les trois quarts du mobilier. Et quel spectacle à venir dans le quartier ! Pris
de panique, il paye quitte à se mettre en porte-à-faux avec d’autres
créanciers. Dans la réalité, les saisies ne vont évidemment pas aussi vite pour
deux raisons…
Premièrement,
parce que la saisie n’est pas du tout du ressort d’une société de recouvrement.
Faute d’avoir rempli son office, elle serait effectivement contrainte de rendre
la main au créancier qui devrait, avant d’avoir recours à un huissier
assermenté, obtenir une décision d’un juge (injonction de payer). Et, pour
pouvoir dresser l’inventaire de vos biens, il faudrait encore que vous ne contestiez
pas cette injonction.
Deuxièmement, parce que si
la dette que vous réclame le créancier est inférieure à 535 €, la société de
recouvrement sait parfaitement qu’une saisie vente est impossible. En effet, en
deçà de ce montant, l’exécution d’une décision de justice ne peut pas se faire
par cette voie.
Vous pensez devoir cet argent ? Ce n’est pas sûr !
Les mots font peur : « dernier avis avant poursuite » ; « saisie de véhicule » ; « saisie attribution sur votre compte bancaire » ; etc. Voilà le genre de formules chocs qu’utilisent régulièrement les agences
de recouvrement dans leur courrier de mise en demeure. « Il ne faut surtout pas paniquer, conseille Marcel Panchout, de l’association Orgeco Finances. Les professionnels du recouvrement amiable n’ont pas le pouvoir de traîner quelqu’un en justice ou de saisir ses biens. » D’ailleurs les termes pseudo juridiques employés dans ces lettres n’ont aucune valeur légale, ou pire, sont réservés à la justice ! Pour autant, vous ne devez pas prendre ces menaces à la légère et faire l’autruche.
=> Mais comment réagir ? Si vous ne devez pas la somme réclamée parce que vous n’avez rien acheté, demandez simplement une preuve au créancier. Certaines sociétés de recouvrement réclament, par exemple, des créances fictives quand une société envoie des livres que vous n’avez pas commandés puis en demande le paiement. Or, sans bon de commande, aucun paiement ne peut être exigé (voir l’Astuce 3). En revanche, si vous êtes certain d’être redevable de cette dette car vous n’avez pas tout payé, ne sortez pas tout de suite le chéquier ! Inutile également de cacher vos meubles dans le garage du voisin et de vider vos comptes bancaires : l’affaire ne fait que débuter et vous avez encore de belles occasions d’y mettre un terme. Ainsi, dans un premier temps, vous devez vérifier que la créance réclamée est « certaine, liquide et exigible » (utilisez la lettre-type 237-1).
Késako ? La dette doit être justifiée, non pas à vos yeux, ni à ceux du créancier, mais aux yeux de la loi, ce qui est une autre paire de manches. Elle doit d’abord être certaine : cette condition signifie qu’elle doit avoir une existence actuelle et incontestable. Bonne nouvelle puisqu’il revient toujours au créancier de prouver le caractère certain de la dette qu’il invoque. Ensuite, elle doit être liquide. Cela ne signifie pas que seuls les impayés concernant des commandes de bouteilles de vin sont concernés par le recouvrement amiable ! Cette condition porte sur le montant de la dette : il faut qu’il puisse être évalué sans la moindre incertitude. Enfin, il faut que la dette soit exigible. Cette exigence signifie que la créance doit être échue et non prescrite. Par exemple, un artisan ne peut pas vous réclamer le paiement d’une facture s’il n’a pas terminé les travaux : avant l’heure, ce n’est pas l’heure ! De même, s’il y a prescription, la créance n’est plus exigible : après l’heure, ce n’est plus l’heure !
Huissier : L’habit ne fait pas le moine.
Vous devez une
certaine somme d’argent mais, horreur, le créancier n’a même pas fait appel à
un recouvreur. La tuile : il vous envoie directement un huissier de justice !
Là encore, même si les choses prennent en apparence mauvaise tournure, il ne
faut pas paniquer. Un courrier d’huissier ne signifie pas que l’officier va
emporter tous vos meubles. Souvenez-vous : tant que le créancier n’a pas obtenu
de titre exécutoire au tribunal, on est encore dans la phase amiable. Pour
arrondir leurs « tristes » fins de mois, des huissiers font aussi dans le
recouvrement amiable. Mais, comme il n’y a aucune décision de justice, ils ont
autant de pouvoir qu’Astérix sans potion : nul ! Dans cette phase amiable, les
huissiers sont effectivement soumis aux mêmes règles que les entreprises
spécialisées dans le recouvrement. Ils ont beaucoup de devoirs mais aucun
droit.
Comment
reconnaître un huissier qui intervient à titre mercantile du même huissier qui
intervient après décision d’un juge ? Facile : tant que le document qu’il vous
envoie – ou vous apporte – porte la mention « sommation de payer », c’est que
l’homme en costume gris n’a pas de biscuit ! La « sommation » revient à
recevoir une lettre de « mise en demeure » d’une simple agence de recouvrement.
A ce stade, l’huissier ne peut en aucun cas pénétrer chez vous, faire
l’inventaire de vos biens et encore moins saisir votre voiture. En revanche, si
le papier bleu de l’homme en gris porte la mention « injonction de payer »,
votre créancier ne rigole plus : la phase amiable est terminée et il a obtenu
un titre exécutoire auprès d’un juge. Là, les choses se compliquent pour de
vrai...