Au bout de deux ans, il peut y avoir prescription !
Dans leur jargon, les recouvreurs parlent de « réactivation de créances ». Cela consiste à réveiller les morts ! Ces créances datent de huit, dix ou quinze ans et ont été passées par « profits et pertes » dans les comptes des établissements de crédits à la consommation. Ce sont des emprunts qui n’ont pas été remboursés et sur lesquels les organismes ont fini par s’asseoir, faute de retrouver le débiteur ou de parvenir à le faire payer malgré des relances incessantes. D’un point de vue comptable, la chose est entendue : ces prêts qui n’ont pas été remboursés sont considérés comme perdus. Mais les dossiers dorment toujours dans les placards et aiguisent l’appétit de certaines sociétés de recouvrement qui se font fort, au prix d’un travail de fourmi parfois peu regardant sur les méthodes employées, de retrouver la trace du mauvais payeur. Cette technique, généralement utilisée pour les crédits oubliés, s’étend maintenant aux vieilles dettes liées à un engagement d’abonnement non tenu (téléphonie mobile, internet, télévision par satellite, etc.).« Vous êtes alors sommé de payer la somme réclamée par une société de recouvrement dans un délai très bref, environ quarante-huit heures, explique Marcel Panchout. A défaut, tout un mécanisme de harcèlement se met en place pour obtenir gain de cause. Vous pouvez même être persécuté sur votre lieu de travail. » Ces flibustiers tentent le tout pour le tout en travaillant quasiment pour leur propre compte : ils ne sont rémunérés qu’à la seule condition d’obtenir un paiement du soi-disant débiteur, quitte à lui forcer la main.
=> Vous voyez le tableau : après avoir souscrit un crédit à la consommation ou un abonnement quelconque, vous avez « oublié » de rembourser une échéance ou carrément décidé, en toute connaissance de cause, de ne plus payer pour un service insatisfaisant. Quelle qu’en soit la raison, que vous soyez de bonne ou de mauvaise foi, la règle est la suivante : si aucun tribunal ne vous a condamné à payer la dette, cette dernière ne peut pas remonter à la surface de cette manière. Et, souvent, vous ne la devez même pas ! Mais l’agence de recouvrement va tenter le tout pour le tout : elle va mettre la pression en vous demandant un geste, même modeste, pour interrompre une procédure judiciaire prétendument déjà lancée. Le piège : « Il ne faut pas céder en versant 50 ou 100 E car commencer à payer, c’est reconnaître la validité de la créance », avertit Marcel Panchout. Une fois que vous avez payé une partie, même symbolique, le recouvreur va s’engouffrer dans labrèche. Vous devez simplement écrire à la société de recouvrement et à l’organisme qui se prétend créancier pour réclamer des pièces justificatives de la créance (* voir l’astuce 3). La probabilité de retour est nulle : « Nous constatons dans les faits qu’à chaque fois qu’un consommateur fait cette demande, le dossier est classé sans suite tout simplement parce qu’il n’y a aucun titre exécutoire et qu’il est impossible d’en obtenir un. Il y a forclusion. » Autre piège : à ce stade, il est bien trop tôt pour négocier un étalement de la dette. En effet, si vous demandez un échelonnement mais que, finalement, la créance n’est pas fondée, vous aurez bien du mal à récupérer les sommes déjà versées et à stopper la folle machine que vous avez vous-même enclenchée. « Demander un étalement des paiements est une reconnaissance implicite de la dette juridiquement valable », prévient Marcel Pantchout.
Ne confondez pas forclusion et prescription !
Chaque prestation de service ou vente d’article est liée à un délai de « prescription ». Dans la plupart des cas, ce délai est relativement court (une ou deux années), mais quand aucune loi n’en définit le terme, l’attente légale est de trente ans. Les organismes de recouvrement savent qu’en matière de crédit à la consommation, par exemple, une banque dispose justement de trois décennies pour récupérer l’argent que vous ne lui auriez pas remboursé. Mais ils oublient toujours de vous signaler qu’un autre compte à rebours tourne parallèlement : la banque n’a que deux ans pour saisir la justice. Il s’agit, cette fois-ci, du délai de « forclusion ». Pendant ce laps de temps, qui débute à la date de la première mensualité impayée, la banque doit demander à la justice de vous contraindre d’honorer vos engagements. Si elle laisse passer cette fenêtre de tir, parfois parce que le montant dû est faible ou parce que ses services se sont endormis sur votre dossier, elle ne dispose plus de véritables moyens de pression. Sauf le bluff que va vous servir l’agence de recouvrement !
=> Pour vous faire craquer, l’organisme qui a récupéré la créance va insister sur le fait qu’en matière de dette civile, la prescription est bien de trente ans. Et, dans chaque courrier, il ne manquera pas de vous le rappeler, de manière à vous montrer qu’il a tout son temps pour vous traîner devant le tribunal. Sous la menace constante, vous finirez bien par payer une petite partie, histoire de retrouver un peu de souffle. Le doigt serait dans l’engrenage…
=> En théorie, l’argumentaire de l’organisme n’est pas vraiment faux : si la dette issue d’un crédit a moins de trente ans, elle est recouvrable. Mais il y a une condition de taille : le créancier doit avoir obtenu un titre exécutoire auprès d’un tribunal ou prouver qu’il a remué ciel et terre pour vous retrouver dans les deux ans qui suivent le premier impayé. Passé ce délai, il y a bien forclusion. Cela signifie qu’ il ne pourra plus jamais vous poursuivre. La dette n’est pas prescrite, mais les moyens pour la recouvrer le sont. Dans ce cas, à quoi bon payer puisque vous ne risquez plus rien ? « Une réelle confusion existe dans l’esprit des consommateurs concernant la notion de forclusion et la prescription trentenaire applicable à condition qu’un titre exécutoire existe », ajoute Marcel Panchout.
« Putain, deux ans ! »
En principe, le délai de prescription des actions en paiement est donc de trente ans. Mais, comme souvent dans le droit français, il y a des exceptions à toute règle. Il existe des prescriptions plus courtes. Par exemple, le délai d’un commerçant envers un particulier n’est que de deux ans. Pour votre abonnement téléphonique, la prescription tombe même au bout d’une année seulement ! Et, en matière de crédit à la consommation, s’il n’y a pas d’exception à la prescription de trente ans, il y a de toute façon forclusion au bout de deux ans, ce qui revient à peu près au même. Lorsque vous recevez une mise en demeure d’un créancier ou d’une société de recouvrement, vérifiez d’abord, dans ce tableau, quel est le délai de la prescription selon le type d’engagement passé. Puis, si la prescription est déjà acquise, envoyez un simple courrier à votre interlocuteur pour lui annoncer la nouvelle : dommage, il est trop tard (- utilisez la lettre-type 237-2) !
=> Ceux qui veulent jouer la montre doivent savoir que le délai de prescription ne commence que le lendemain du jour qui y a donné naissance (date d’achat, date d’une échéance de crédit, date de prélèvement d’un abonnement, etc.). Il se termine le jour qui porte le même « quantième », c’est-à dire le même chiffre que le jour qui a servi de point de départ, à minuit.
Bon
à savoir Un courrier de
mise en demeure, même envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception, n’interrompt
pas la prescription. Dans un arrêt du 26 juin 1991, la Cour de cassation en a
décidé ainsi. Cette arrêt rappelle donc que seul le fait de saisir le tribunal
d’instance ou de grande instance pour obtenir un titre exécutoire interrompt la
prescription. Du coup, certains ralentissent le temps en promettant un
règlement au créancier qu’ils n’envoient pas : même après avoir reçu une mise
en demeure, s’ils parviennent à faire traîner les choses au-delà de la
prescription, ils ne peuvent plus être inquiétés !
* En revanche s'il s'agit d'un trop-versé du locataire, ce dernier a 30 ans pour récupérer l'argent.
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